L’industrie du cinéma d’auteur aux T.N.-O. se matérialise dans les sous-sols de maison.
Quelques noms viennent à l’esprit lorsque vient le temps de parler de cinéma d’auteur aux T.N.-O. Big Fish Productions, Lone Wolf Film Television Production Services, Yellowknife Films… Mais peu de cinéastes persistent à laisser leurs caméras filmer un territoire qui n’est pas hostile que par son climat, mais par les portes qui restent obstinément closes. L’image cinématographique des T.N.-O. est figée dans le froid et le financement se fait rare.
Alan Booth est l’un des cinéastes les plus tenaces des T.N.-O. Il reconnaît que l’industrie du film au Nord est confinée à un marché à créneaux, qui met de avant la glace, la neige, les aurores boréales et les peuples autochtones. L’un de ses films, The Northern Lights, réalisé en 1992 en collaboration avec l’Office National du Film (ONF), épouse d’ailleurs l’un de ces thèmes. Mais c’est pour renverser la vapeur qu’il s’est lancé dans l’industrie, il y a 21 ans, aux T.N.-O.
« Les gens qui vivent à l’extérieur des T.N.-O. croient que nous sommes des individus habitant un climat unique composé de glace et de neige, dont la culture est issue des peuples autochtones. Je crois que dans les années à venir, nous aurons un autre point de vue des T.N.-O. Nous devrions, en tant que communicateurs, montrer ce que sont véritablement les Territoires du Nord-Ouest. »
Le Québécois d’origine est arrivé à Yellowknife à 19 ans, un diplôme universitaire en cinéma dans les poches. Après quelques années à travailler au gouvernement, à CBC et comme chauffeur de taxi, il fonde Yellowknife Films. Spécialisée à ses débuts en tournage sur pellicule, la petite compagnie située au centre-ville de Yellowknife s’est convertie au tournage en vidéo en 1992. C’est d’ailleurs, selon son propriétaire, la première entreprise qui s’est intéressée à la technologie numérique aux T.N.-O.
« Quand je suis arrivé, il n’y avait pas grand chose qui se passait dans le domaine du cinéma aux T.N.-O., raconte le cinéaste, qui a à son actif plus d’une centaine de films de genres différents. C’est un endroit qui est immense, très diversifié culturellement. Pour un cinéaste, c’est quelque chose de merveilleux qui donne envie de le partager. »
Un partage qu’il laisse circuler à travers les mètres de câbles et de fils entreposé dans sa maison. Sa salle de montage est dans le sous-sol et ses ordinateurs au rez-de-chaussée. De la porte arrière, qui donne sur la ruelle, entrent des pigistes qui louent son équipement pour leurs projets de film. À travers ces va-et-vient, Alan Booth travaille, avec son bras droit, sur presque tous les genres de films, allant du documentaire au message d’intérêt public. Pour l’instant, seuls les films de fiction n’ont pas encore défilé sur ses écrans.
Le cinéaste mentionne en cours d’entrevue qu’il « voudrait faire plus de créations, de projets qui viennent de moi. » Ce cri du cœur, même prononcé à voix posée, en dit long sur les conditions de travail qui prévalent pour les cinéastes. Pour faire vivre sa petite entreprise, le propriétaire doit tout filmer, autant l’industrie du diamant que la chasse au caribou. Cette montée de contrats commerciaux n’est pas étrangère à la vague économique qui déferle sur les T.N.-O. Ce qui n’est toutefois pas un mal en soi, selon Alan Booth, qui ne reçoit pas de financement provenant des gouvernements territorial et fédéral. Une situation qu’il avoue trouver difficile. « Il n’y a jamais eu de sources de financement stables au cours des 20 dernières années ici. » Ces principales ressources proviennent de Téléfilm Canada et de l’ONF.
« Quand tu fais des films commerciaux, ça te donne au moins un financement de base qui permet de faire des choses plus créatives. » Des milliers de dollars peuvent être déboursés pour la réalisation d’un film d’auteur. À titre d’exemple, la réalisation de son film Northern Lights a coûté 600 000 dollars.
Le cinéaste admet que l’arrivée de nouveaux contrats n’est peut-être qu’éphémère. « Il y a plusieurs compagnies qui veulent des films ici et maintenant, ce qui fait que nous avons beaucoup de travail. Mais je ne peux pas dire que ça va durer éternellement. Si la situation redevient ce qu’elle était, il n’y aura pas assez de travail pour tout le monde. »
Alan Booth, qui sait manipuler autant la caméra que l’éclairage ou le logiciel de montage, indique que la polyvalence est un atout indispensable dans le Nord, qui a peine à garder ses spécialistes. « Nous devons tout savoir faire aux T.N.-O., être innovateur. Si les techniciens dont j’ai besoin ne sont pas là, je dois faire le travail moi-même. » Son record ? Cinq nuits en ligne devant sa station de montage à 25 000$. Sur cette anecdote, il se retourne devant ses écrans et reprend son travail. C’est le temps de retourner encourager la business.