Vous avez vu la folie déclenchée, il y a deux ou trois semaines, par la loterie. La plus grosse loterie à avoir existé au Canada a suscité une ruée aux billets inimaginable. Votre humble servante a succombé comme le commun des mortels, je vous inquiétez pas. Donc, les gens se précipitent pour se procurer ce qui, j’en suis certaine. leur ferait perdre le sommeil en échange de la gloire, la tranquillité en échange de la frénésie, l’anonymat en échange de la célébrité, le désir inassouvi de quelque chose en échange du désir assouvi de cette même chose. Bref, la frénésie de la loterie fait oublier aux gens tous les petits plaisirs que la vie peut présenter pour ne plus voir que ce que l’argent peut offrir. Je ne suis pas certaine que tous les gagnants de montants importants aient la force de caractère de bien assumer ce qui leur arrive.
D’ailleurs, quand on regarde ce qui arrive, dans la plupart des cas, c’est qu’une grande partie des gagnants de lots importants se retrouvent, un ou deux ans plus tard, Gros-Jean comme devant, sans le sou, ruinés et souvent humiliés en plus d’avoir fait piètre figure comme gestionnaire. Pas facile de redevenir simple anonyme quand tu as côtoyé le jet-set, pour ceux qui aiment.
Comme l’argent ouvre certaines portes auparavant bien barricadées, (mais alors de l’argent, beaucoup d’argent, du genre de la dernière loterie), les nouveaux riches se retrouvent dans un milieu qui leur est totalement inconnu, hostile et ingrat. Les nouveaux ploucs ne sont pas toujours les bienvenus chez les ploucs. Les nouveaux riches ne sont pas toujours bien accueillis par les riches ordinaires, de bonnes familles. Bref, plus question de se tenir avec les gens ordinaires (sauf les amis, mais ça c’est une autre histoire). Plus question non plus de refuser des dons pour tout et rien, sinon votre face apparaîtra en première page de tous les journaux jaune; on clamera haut et fort que vous êtes un maudit sans coeur, égoïste et sans vergogne qui préfère s’acheter Rolls Royce et Rolex plutôt que de verser dans les coffres de milliers d’organismes. Le téléphone, pensez-y plus. Changez de numéro au plus s….! Le plaisir de déambuler dans la rue, sans crainte ni appréhension, n’y pensez plus! Vous déménagez loin et vous vous terrez, car n’oubliez pas que quand on est riche, souvent notre réputation nous précède. Et comme les communications sont rapides, vous venez à peine de vous installer dans vos nouveaux quartiers que déjà le harcèlement se fait sentir.
Vous avez déjà entendu la fable de La Fontaine qui s’appelle Le financier et le savetier. Je ne vais pas pour la citer, mais juste vous la résumer. Il y avait un savetier (autre mot pour cordonnier) qui avait sa petite boutique et qui chantait « du matin jusqu’au soir »; par contre son voisin, un financier, était préoccupé et ne dormait pas. Il s’en va donc voir son voisin et lui achète son « dormir » contre sa fortune. Et le pauvre savetier perd le sommeil. Il entend des bruits, il a constamment l’impression qu’on tente de le voler. Bref, sa vie devient un enfer, alors que le financier dort sur ses deux oreilles. À la fin, le pauvre savetier va trouver son voisin et lui redonne son argent pour retrouver le sommeil et le goût de vivre. C’est une bien jolie fable de La Fontaine. La morale, je vous laisse la tirer. Je sais pertinemment que c’est toujours agréable de tenter sa chance à la loto. Je vous souhaite tout de même bonne chance si votre désir le plus cher est de gagner. Mais je vous dis également de bien réaliser ce que la vie vous offre présentement : peut-être pas la gloire ni la fortune, mais des joies simples que permet l’anonymat. C’est samedi, journée de la loterie! Je me demande si je devrais acheter des billets?
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